Jean Sulivan, "Dans l'espérance d'une parole"
Jean Sulivan toujours vivant
Note de lecture de Pierre Tanguy
Monde en poésie a la joie d'accueillir cette nouvelle note de lecture de Pierre Tanguy
Jean Sulivan nous revient. Mais nous a-t-il vraiment quittés ?
Quarante ans après sa disparition accidentelle en région parisienne, voici
rassemblés dans un livre conçu par l’écrivain et éditeur breton Jean Lavoué de
très nombreux témoignages sur la vie et l’œuvre de ce prêtre rennais, écrivain
fécond et « électron libre » de l’Église catholique.
Comment résumer l’œuvre de Jean Sulivan ? Sans doute dire, avant tout,
qu’elle porte la signature d’un homme prônant la liberté intérieure loin des
dogmes et des postures convenues. Né Jean Lemarchand en 1913 à
Montauban-de-Bretagne dans une famille d’exploitants agricoles, il a débuté,
devenu prêtre, comme aumônier des étudiants à Rennes avant de devenir
enseignant au lycée Saint-Vincent. Parallèlement, il s’est fait une belle
réputation dans la capitale bretonne en lançant un ciné-club (La Chambre noire)
au cinéma Arvor ainsi qu’un journal mensuel « Dialogues ouest ».
Puis, c’est la rupture. En 1958, à 45 ans, il quitte sa région natale, prend la
direction de Paris pour se consacrer à l’écriture. Un véritable
« exode » qui l’amène à privilégier une vie dans les
« marges » en s’arrachant, comme le dit Jean Lavoué, « au
confort d’une culture millénaire dans laquelle se trouvait enfoui, comme dans
un tombeau, le germe immémorial ».
Installé à Paris, tout en fréquentant ceux que la vie a mis dans les
marges, il écrira des livres (essais, romans, bloc-notes…) qui feront mouche
très vite et ne laisseront pas insensibles les plus grands critiques de
l’époque, notamment ceux du journal Le Monde. « Son
œuvre met en évidence l’imprévisible liberté, rend à l’homme la possibilité de
se rénover », écrivait Jacqueline Piatier. « Jean
Sulivan se jette simplement dans ce qui vient de son instinct et de son
cœur : une adhésion joyeuse à la vie, un élan d’amitié devant les êtres et
les choses », notait pour sa part Pierre-Henri Simon.
Cette pensée féconde méritait des jardiniers pour l’entretenir. Pour les
trente ans de la disparition de Sulivan, Joseph Thomas (parmi d’autres) a été
de ceux-là en étant la cheville-ouvrière d’un colloque organisé à Ploërmel
autour de l’œuvre de Jean Sulivan. Dix ans plus tard, Jean Lavoué prend en
quelque sorte le relais en publiant cette somme sur l’œuvre du prêtre
« rebelle ». On y trouve les témoignages d’hommes et des femmes
(écrivains, journalistes, acteurs de terrain, chrétiens en marge…) qui ont été,
à un moment de leur vie, réveillés et interpellés par la parole de Sulivan.
L’écrivain Colette Nys-Mazure en fait partie. « Toujours
l’incertitude, écrit-elle à propos de Sulivan, le refus de
conviction avérée mais un engagement indéniable et jamais renié. Tandis que le
prophète stigmatise les tares de notre société y compris d’une certaine Église
institutionnelle, le poète du quotidien nous ramène à l’ici maintenant. Pour le
marcheur dans la ville et dans l’univers, rien n’est insignifiant ». De
son côté, l’essayiste et philosophe Guy Coq souligne que « par
rapport à la foi et à l’Église, Jean Sulivan reprend toujours la
question : comment une parole de foi peut-elle devenir audible dans notre
société sécularisée sans tomber dans l’insignifiance ? »
Cet ouvrage qui aborde, grâce à la diversité de ses signatures, toutes les
facettes de l’œuvre de Sulivan, nous livre aussi quelques bribes d’une
intervention que l’écrivain-prêtre avait faite au centre de la Briantais près
de Saint-Malo à la Pentecôte 1979. Ses mots nous reviennent par le truchement
de notes prises sur place par Yolande Barbedette. « Si les hommes
de ce temps sont étrangers au christianisme, déclarait Jean
Sulivan, c’est parce que les hommes ont perdu leurs racines, parce
qu’ils ont perdu leur terre intérieure. Tant qu’un homme n’habite pas sa terre
intérieure, tant qu’il n’est pas accordé à son unité profonde, il ne peut
entendre l’Évangile ». Paroles de prophète qui n’avait pas encore
assisté à la désagrégation complète du christianisme paroissial, notamment en
Bretagne, mais qui appelait déjà à construire l’avenir sur de nouvelles bases.
Dans l’espérance d’une parole, avec
Jean Sulivan, éditions L’enfance des arbres, 378 pages, 20 euros.
En ces temps de confinement, le livre peut être commandé directement aux
Éditions L’Enfance des arbres, 3, place vieille ville, 56 700 Hennebont
(3,50 euros de port)
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