Madeleine Bernard, la Songeuse de l'invisible
Monde en poésie a la joie d'accueillir ce nouveau livre de l'auteure Marie-Hélène Prouteau Stéphan. Pierre Tanguy auteur, poète et critique nous le présente au travers de sa note de lecture.
« Madeleine est
très à l’aise dans la conversation avec ces peintres un peu fêlés qui peignent
les arbres en bleu, le sable des plages en vermillon et japonisent à tout
va ». Marie-Hélène
Prouteau nous parle ici d’un moment décisif dans la vie de Madeleine Bernard :
la venue de la jeune femme à Pont-Aven en 1888. Elle y rejoint son artiste de
frère venu sur place dès 1886 à l’occasion d’un voyage à pied qu’il effectuera
en Bretagne et le fera notamment passer par Saint-Briac, un lieu auquel il
restera aussi profondément attaché.
En cette année 1888,
la jeune Madeleine tape dans l’œil de Paul Gauguin qui signera la tableau
fameux Portrait de Madeleine Bernard (musée de
Grenoble). « Elle a revêtu la veste jaune, note
Marie-Hélène Prouteau, la tunique bleue boutonnée et la jupe rouge
serrée à la taille ». Paul Gauguin, « dans la
vigueur de ses quarante ans », est sous le charme. La jeune
fille, la « songeuse », « la tête appuyée sur la main,
sa pose familière », est une très jeune fille de 17 ans.
Mais « tout ici lui parle de la vie qu’elle voudrait vivre. La vie
près de la nature, dans l’humilité de ces choses simples qui sont les vraies
richesses ». Elle attire aussi l’attention d’un autre artiste,
Charles Laval, avec qui elle aura une liaison.
Mais la vie de
Madeleine n’est pas figée dans cette Cornouaille bohême. Elle est d’abord faite
d’allées et venues entre sa famille originaire de Lille mais installée à
Asnières (le père est négociant en tissus) et divers lieux où elle séjourne
pour le plaisir ou par nécessité. Néanmoins, on la retrouve souvent dans les
pas de son frère Emile. La voici par exemple aux bains de mer au Crotoy en
1889 (« la mer ici ne vaut pas celle de la Bretagne », écrit-elle)
puis, en 1891, à Saint-Briac (« le pays est superbe, plus je le
regarde, plus je l’admire », écrit-elle à ses parents). C’est de
cette année 1891 que date la fin d’une relation amicale avec Paul Gauguin quand
ce dernier se prévaut publiquement, ignorant Emile Bernard, d’être le fondateur
du symbolisme en peinture.
Un vrai travail
d’investigation
Au fil des pages,
Marie-Hélène Prouteau approfondit notre connaissance de la jeune femme,
enrichit son texte d’un luxe de notations sur cette période d’effervescence
artistique. Elle a pour cela puisé dans des écrits de toute nature, dans des
correspondances et effectué un vrai travail d’investigation. Elle le rehausse
par une qualité d’écriture qui porte sa marque propre (alliant fluidité et
élégance), éveillant chez le lecteur le sentiment d’être de plain-pied dans un
univers d’hommes et de femmes en quête d’un autre avenir possible.
« Je souffre trop
du réel de la vie, écrit Madeleine
à son frère Emile en 1892, je suis plus persuadée que jamais que je
suis incapable de vivre selon le monde. Si je ne craignais pas de céder à la
lâcheté, je me retirerais dans un cloître ». Marie-Hélène
Prouteau souligne, de ci de là, l’approche mystique de son personnage.
Oui, « songeuse de l’invisible ». D’où son peu
d’empressement à voir sa vie de femme tracée d’avance comme lorsque son père
l’inscrit dans une maison de commerce. Madeleine rompt avec sa famille quand sa
mère (autoritaire) fustigera, à tort, son « amitié coupable » avec
une autre femme, son amie Charlotte Joliet, de cinq ans son aînée.
Madeleine rejoint
l’Angleterre, puis s’enfuit à Genève (avec Charlotte) où elle entretient une
liaison avec un jeune Russe « de fort bonne famille » qui
n’est autre que le frère de la journaliste et écrivaine Isabelle Eberhardt.
Puis elle projette d’aller en Corse et même au Canada. Finalement ce sera
l’Egypte où elle rejoint Emile qui vient de s’y marier. Madeleine meurt le 20
novembre 1892 des suites d’une phtisie pulmonaire (on attribuera cette maladie
à sa liaison avec Charles Laval qui était tuberculeux).
Madeleine Bernard,
femme libre, aura vécu pleinement sa courte vie. L’autrice Marie-Hélène
Prouteau a trouvé les mots pour le dire et l’associer au destin qui fut celui
d’Emile Bernard. Deux âmes sœurs dans une « secrète
complicité » qui ne se démentira jamais. La Madeleine au
bois d’amour, peinture d’Emile Bernard du Musée d’Orsay, restera pour
toujours la trace visible de cette liaison. Emile a 20 ans quand il peint sa
sœur. Madeleine, elle a en a 17.
Pierre TANGUY
Madeleine Bernard,
songeuse de l’invisible, Marie-Hélène Prouteau, éditions Hermann, 2021,
19 euros, 150 pages.
Pierre Tanguy sur Monde en poésie
Marie-Hélène Prouteau Stéphan sur Wikipédia
"Merci, chère Brigitte Maillard, de faire écho à mon livre. Madeleine Bernard m'accompagne depuis longtemps. J'ai commencé des recherches en 2005 à la documentation du Louvre. Mais c'est dans mon adolescence bretonne qu'est née cette passion pour l'école de Pont-Aven et pour elle. La curiosité d'abord d'imaginer ce gros bourg de Pont-Aven au 19è et ses artistes bohèmes, dans le cadre enchanteur de l'Aven. Il m'a fallu résoudre l'énigme centrale de la courte vie de Madeleine. Sa "fuite" à Genève en coupant tous les liens." Message de l'auteur Marie-Hélène Prouteau Stéphan
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